Rapport moral



-présenté à l'AG exceptionnelle de dissolution des Chemins de l’Aube , le 9 mars 2013-

1) Si l’on dresse un bilan d’activité en termes administratifs, cela peut-être fort succinct…
Que peut-on dire alors ? Que va-t-on venir constater ? On va d’abord prendre acte, simplement, que notre association a fonctionné et fonctionne jusqu’à aujourd’hui conformément à sa fondation, en pleine cohérence avec ses objectifs initiaux.
1) Elle visait « L’organisation de marches accompagnées pour des hommes et femmes en difficulté » ; elle a bien emmené marcher des gens –qui n’y seraient pas allés seuls- sur les chemins de Saint Jacques …et jusqu’à Compostelle.
2) Elle voulait œuvrer au « développement de l’utilisation de la marche à pied comme outil d’insertion » ; elle a incontestablement fait avancer l’idée après de ses partenaires du secteur social et de la santé.
3) Elle voulait être une association à part entière avec l’appui d’un groupe et l’engagement de ses adhérents ; elle a connu une vie assez intense avec suffisamment de membres pour apporter des éclairages et une réflexion sur l’action (nous avons eu jusqu’à 41 membres) ; un conseil d’administration actif qui s’est réuni invariablement une fois par trimestre ; l’implication de nombre d’adhérents, pour certains, dans une implication financière discrète et fidèle, pour d’autres –et parfois les mêmes- dans des engagements spécifiques comme -l’évaluation des marches, l’accompagnement des départs de marche, le transport des marcheurs et d’Yves au départs et au retours des marches, recherche d’équipements à prêter aux marcheurs,-et même, les marches à la demi-journée, faites par des bénévoles lors des absences d’Yves, pour assurer la préparation de marcheurs.
               Voilà ce qui pourrait être développé dans un rapport moral purement administratif ! Mais derrière tout cela, il y a du vécu, du ressenti et c’est ce que je voudrais partager avec vous…

2) Un petit retour dans le temps…
Quand nous nous sommes retrouvés un soir d’hiver autour du feu chez Yves et Françoise, fin 2007, le projet paraissait un peu fou, une sorte d’utopie, modeste certes, mais un peu utopie quand même. Pensez donc : devenir accompagnateur professionnels de personnes allant mal, « mal dans leur corps ou dans la société ou dans leur vie… » et pouvant aller mieux avec la marche ! Vous imaginez la tête du conseiller ANPE !
Et puis il y eut cette première année : des attentes des déceptions –une vraie traversée du désert !-Je me souviens des coups de fils ou des passages d’Yves à la maison, porteurs de nouvelles tour à tour positives ou démobilisantes.
Nous, pendant ce temps-là (nous, c’est Aline, Jacqueline et moi… guère plus, Dany, une autre amie était aussi à la première rencontre mais quittait la région), nous nous demandions si le projet originel verrait le jour devant cette contradiction qui éclatait (et qui nous a poursuivi jusqu’à la fin) :
-d’un côté, Yves avec ses contact et ses démarches recensait une foule de besoins et de demandes (…de la part de lieux de vie, …d’éducateurs, …d’interlocuteurs de la PJJ surtout, …de particulier en difficulté avec leurs ado, d’adultes un peu perdus et voulant faire le point par une marche…)
-de l’autre on était face à des entraves : …blocages de l’administration ou des services comptables des institutions, …désistement des personnes, …report de calendrier.

Heureusement, cette année-là, Yves avait aussi déposé une candidature pour l’association « Seuil », un organisme phare en matière de marches de réinsertion pour des jeunes placés par le juge. Et là, c’est l’adoubement, la reconnaissance de compétence qui va nous épauler pour toute la suite du projet. Car cet organisme -qui recrute, au travers d’une sélection exigeante, des personnes en bonne condition physique mais aussi psychologique et humaine-, intègre Yves dans ses équipes ! Et il fera une mission de trois mois, 1800 km avec un jeune de 18 ans confié par le juge.
L’enthousiasme d’Yves persistait pour le projet régional. Nous signons donc en fin d’année le premier contrat de travail. …Quatre années d’intenses activités vont suivre… Vous l’avez vu sur les tableaux précédents ! …Quatre années avec un calendrier prévisionnel bouclé plus de 6 mois à l’avance ! …Avec des marcheurs d’âges et d’origines variées (RMI/RSA, en recherche d’emploi, Adultes handicapés, travailleurs en invalidité, jeunes mineurs placés en institutions…), …une habilitation de la DGAS (ex-DDISS) pour emmener des mineurs, …et finalement la signature d’un CDI.
Cela nous conduira à cette dernière année 2012 (qui vient de s’achever). *Nous y avions désormais droit à un prix de journée de 237 € de la part de l’ASE (Aide sociale à l’enfance) et à une habilitation valable 5 ans pour emmener des mineurs. *Les marcheurs suivis, depuis le début pour certains, ont vu l’aboutissement de leur projet. Après de nombreuses marches à la journée ou cantonnées à la France-, ils ont enfin pu aller à Compostelle sur les grands chemins historiques espagnols. *Et en cette année ultime -conformément aux prescriptions de l’AG précédente et des CA trimestriels-, on n’a pas pris de nouveaux engagements. …C’est l’heure pour Yves de poser son bâton de pèlerin et de tourner une autre page de son parcours.

3) Aujourd’hui : « Que se dégage-il de cette aventure des Chemins de l’Aube ? »
               …Du positif, incontestablement ! Mais alors : « Que se dégage-il de positif de cette aventure des Chemins de l’Aube ? ». Pour répondre à cette question, il faut répondre à une autre : Que retirent les marcheurs de ces expériences ?
C’est pourquoi s’est mis en place dès les premières marches une sorte de commission de travail sur l’évaluation. Sans revenir sur les difficultés méthodologiques que pose l’évaluation dans les domaines du vécu et du qualitatif (cela a été évoqué dans nos précédentes AG) : que peut-on en retirer ?
Qu’est ce qui en émerge ? …Tout simplement et en des termes simples :
(les marcheurs auront bien sûr l’occasion de confirmer, d’illustrer …ou de nuancer ce point de vue tout à l’heure!)
- une réelle satisfaction aussi bien sur le moment que déjà avant dans la préparation ou des semaines plus tard…
- les gens vont mieux …et cela est validé par l’entourage : la famille, les proches ou les institutions d’accueil ; il peut s’agir, dans des proportions variables –c’est tellement mêlé– :
   °de  bien être intérieur
   °d’amélioration médicale
   °d’amélioration relationnelle
   °d’enrichissement par la découverte de l’environnement et des autres, de la géographie, de la culture d’un pays, voire d’enrichissement spirituel
   °parfois c’est un déclencheur, un catalyseur : la personne se sent prête désormais à entreprendre une expérience autonome sans accompagnateur
Globalement, les bénéfices sont incontestables. Ils rejoignent les avis de tous ceux qui marchent dans d’autres contextes et dont les médias font souvent échos…

4) Autre question qui surgit : « Qu’est ce qui est spécifique des marches accompagnées avec Yves …par rapport aux marches autonomes ou avec un prestataire commercial ? »
Yves raconte que lorsqu’il devait se présenter sur le chemin auprès des pèlerins ou des aubergistes dans les gîtes, il se déclinait, en espagnol, comme « guide-éducateur ». Il faut bien rentrer dans une catégorie pour communiquer …et expliquer qu’on le voit passer plusieurs fois par an ! …Mais en fait, qu’est-il vraiment ? Pas vraiment éducateur. Est-il plutôt une sorte de coach ? Un maître spirituel, un thérapeute ? …Un ami du marcheur alors ? …Non plus …ou pas vraiment …ou pas dans tous les cas …même si ce n’est pas exclu …au fil de la marche et du partage.
En fait, Yves -pour ce que j’en ai perçu-, a conçu son rôle comme un être humain à côté d’un autre être humain, avec toute l’authenticité de ce qu’il était, de son histoire et de sa sensibilité. D’ailleurs rentrerait-il dans un cadre comme ceux que j’évoquais …ou d’autres d’ailleurs ?

Le but qu’il poursuit -à mes yeux toujours- c’est bien que chaque personne, chaque marcheur puisse un jour boucler son sac et prendre la route, … seul ou avec des gens choisis par lui …en toute autonomie. C’est une aspiration profonde, en germe chez chacun des marcheurs. L’aventure de la marche à pied, …se retrouver fragile, avec un mince bagage sur la terre qui nous porte et la découvrir, la regarder… Cela, chacun y a droit et peut y découvrir des trésors de vie personnelle et de mieux être avec lui-même et avec les autres !
               Mais en attendant ce n’est pas possible, pour tous ! Il y a des freins : …ceux que chacun se met, avec les excuses d’un emploi du temps et d’une vie trop active… ceux qu’impose la situation socio-économique, la maladie, le handicap ou d’autres relégations.
C’est là qu’un accompagnateur est nécessaire …pour faire se lever et mettre en route, …pour laisser émerger cette dimension de la dignité de chacun.
               Et, pour revenir à notre projet, les institutions qui ont en charge des personnes handicapées ou des ados en difficultés pressentent bien aussi qu’il y a là un moyen de développement et d’équilibre car il y a des demandes incessantes auprès d’Yves, et depuis le début ! Même si ces demandes sont parfois un alibi ou une fuite en avant -…parce qu’on ne sait que faire d’un jeune en crise ou qu’on est pris de court par une décision éducative- il y a là une reconnaissance incontestable de la marche accompagnée comme outil éducatif et comme pratique de socialisation.

5) Alors, si les institutions comme les Lieux de vie ou l’ASE « en redemandent », où est le problème pour faire exister ce beau métier d’accompagnateur de marche ?
Le problème c’est …le financement ! Est-ce dû au contexte économique ? Ou cela tient-il à un manque de conviction sur la formule ? …Un peu des deux à la fois sans doute ! En tout cas, s’il n’y avait pas eu ce handicap financier, peut-être n’aurions-nous pas arrêté si tôt ? …Ou alors progressivement ! Et dans une configuration de ressources plus pérennes, peut-être qu’une suite aurait été possible, …avec d’autres administrateurs, …un autre accompagnateur. Je me demande si cette recherche de financements n’est pas ce qui a suscité le plus d’inquiétude et demandé le plus d’énergie à Yves dans l’aventure !
Et si les Chemins de l’Aube ont tenu cinq ans, c’est qu’il y a eu et qu’il y a encore votre soutien substantiel à vous qui êtes là. Pour Yves et son projet, pour les marcheurs, je peux que redire un immense « merci ! ».

6) En fait pour nous, c’est au moment où l’association est la plus reconnue et assaillie de demandes qu’elle doit s’arrête ! Quel paradoxe !
Finalement, la concomitance avec la proximité de la retraite pour Yves arrange bien les choses ou du moins limite les dégâts...
À l’évidence, notre contexte socio-économique et ses acteurs sociaux ne sont pas prêts encore à intégrer la marche comme médiation à part entière dans leurs moyens d’actions et dans tout leur arsenal de dispositifs homologués. Mais l’idée avance, nous l’avons fait avancer, Yves et les marcheurs l’ont fait avancer !
               Cela m’évoque ce proverbe arabe qui dit : « Celui qui veut faire quelque chose trouve toujours des moyens, celui qui ne veut rien faire trouve toujours des excuses. »
Gageons que d’autres reprendront le flambeau : nous voyons déjà poindre les démarches de jeunes éducateurs sortant de formation. …Avec vous tous, c’est ce que je souhaite ! C’est prometteur et ce n’est que …l’Aube du Chemin !

                                                           Auberge de Jeunesse de Poitiers, le 9 mars 2013

                                                                                        Jean-Claude Marquis